grandesjorassescouvercleIl y a de nombreuses années, j’avais dévoré le livre de René Demaison : « 342 heures dans les Grandes Jorasses ». Cet hiver je rachète le livre et le lis en me demandant si la magie serait toujours là. Ce fut mieux que ça. Au fil des pages, je découvre une gestion de crise… telle que nous la décrivons dans nos interventions. Les 3 paramètres sont là : l’urgence, l’émotion et l’incertitude. Et au fur et à mesure, la lecture a posteriori des signaux faibles, les interprétations et communications défaillantes, les jeux d’égo et de pouvoir qui conduisent aux mauvaises décisions et au drame. Décryptage.

L’histoire.

Deux hommes, René Desmaison guide chamoniard aguerri et reconnu et Serge Gousseault excellent alpiniste s’engagent dans une grande hivernale, une première, la face Nord des Grandes Jorasses : le Pointe Walker, plus de 4000 m. La montée est difficile. Ils sont bloqués à 80 m du sommet.

Les signaux faibles : Tout commence par un mensonge.

L’état de santé de Serge. Serge est un bon montagnard. Mais il ne dit pas à René qu’il souffre d’asthme depuis quelques mois et que son état de santé n’est pas à 100%. Pourquoi ? Parce qu’il sait que s’il le dit, René refusera de l’emmener dans cet exploit. Mensonge volontaire ou surestimation de ses capacités ? Dans les deux cas nous trouvons souvent cet élément a posteriori dans nos analyses des situations de crises. « Je ne l’ai pas dit car je ne pensais pas que c’était important…je pensais pouvoir gérer… » Un signal faible qui aura de dramatiques conséquences.

La montre s’arrête. Avec cette montre qui ne marche plus ce sont les rdv avec la vallée pour les points météo qui ne sont plus possibles. L’horaire des rdv est décidé avant la montée afin que la fréquence radio soit disponible.

La radio en panne. Les piles, c’est bête, mais c’est faillible. Les piles avec le froid se déchargent. La radio est en panne. Plus de liaison avec la vallée. Plus d’information météo. Plus moyen d’alerter, non plus en cas de difficulté.

Les cordes coupées. Une chute de pierres et ce sont les cordes de rappel dont l’âme est visible. Fragile pour l’une, raccourcie de moitié pour l’autre. Les rappels sont plus courts, plus nombreux. Mais la décision est prise de continuer. Le sommet est à 2 jours de marche.

Les broches et pitons abandonnés. Serge, second de cordée, a pour mission de récupérer broches et pitons. Mais son état de faiblesse l’empêche de dépitonner. Il laisse donc le matériel dans la roche. Malgré les remontrances de René.

Serge traine… le sommet est toujours à 2 jours d’escalade. Malgré les efforts des deux hommes, Serge est trop faible et le rythme est très lent. Les jours passent et le somment est toujours à 2 jours !!!

Mais malgré cet ensemble de signaux, la décision est maintenue d’aller vers le sommet. Egalement parce que redescendre est très compliqué à cet endroit avec 3 broches restantes. Bref, il faut monter. Mais les deux hommes sont désormais : en manque de vivre, avec un matériel restreint, affaiblis, et sans contact avec la vallée.

L’élément déclencheur : la blessure et le constat.

Accrochés à la paroi verticale de glace et roche, René constate que Serge ne peut plus se servir de ses mains. Les voilà tous les deux coincés. Une seule solution : que la vallée vienne les chercher.

Sous-estimation des éléments depuis la vallée.

Une inquiétude légitime… mais non écoutée. Lorsque les montagnards sont coincés à 80 m du sommet, la femme de Demaison s’inquiète de ne pas les voir revenir dans des délais normaux. Mais à la maison des Guides, il y a Herzog qui minimise le phénomène. « Ils sont solides, ils vont descendre ». Nous appelons cela « la tentation de maitrise », la situation est sous contrôle, avec une sous-estimation des éléments.

Les erreurs de communication.

La femme de Demaison obtient gain de cause, et après plusieurs jours d’une attente insoutenable, un hélicoptère est envoyé là-haut. Pilote et copilote voient les alpinistes. Mais ne décryptent pas la situation. Ils voient deux hommes, agrippés à la paroi verticale, à 80 m du sommet. René montre du doigt son camarade, et fait signe « vers le haut ». Conclusion hâtive du pilote « ils sont à 80 m du sommet. Ils y seront demain. Ils seront en bas dans 3 jours. » Retour à Cham’ ! « Vont-ils bien, s’inquiète-t-on ? » « Oui, oui, ils nous ont fait des signes qu’ils grimpaient et n’avaient pas besoin de nous ! »

Deuxième passage de l’hélico le lendemain « pour vérifier que tout va bien. » René fait le signe de détresse en montagne : un grand balancier du bras, de bas en haut, à raison de 6 battements par minute. De nouveau, dans l’hélico, on comprend « on finit la montée ». Retour à Cham’ pour la seconde fois. Sur la paroi c’est la panique : « mais pourquoi ne viennent-ils pas nous chercher ? » Incompréhension.

Problème d’égo dans la vallée et obstacles au sauvetage.

Dans la vallée, 2 clans : les familles et amis des alpinistes convaincus qu’il y a un problème et le clan Herzog qui se braque. Une équipe d’alpinistes militaires, alpinistes chevronnés et connaissant les lieux proposent de partir par une autre voix et de rejoindre les deux hommes. Il faut l’autorisation de l’armée : cela prendra 3 jours.

Lorsque l’autorisation est donnée, Herzog, alors Maire sortant de Chamonix s’y oppose au motif « qu’ils ne sont pas chamoniards !!! »

Un autre hélicoptère peut monter… mais il est financé par l’ORTF… un détail ! Mais ce financement suppose un caméraman à bord… pas de place pour une équipe de sauveteurs. On croit rêver !

Finalement, c’est un Alouette III de Grenoble qui décolle avec 4 alpinistes à bord. Cela fait 15 jours que les hommes sont dans la roche des Grandes Jorasses. Mais cela fait une nuit que Serge est mort dans les bras de René. Le pilote ne connait pas les Grandes Jorasses mais c’est un as du pilotage de sauvetage. Il brave les interdits d’Herzog et de sa troupe. Il faut sauver les hommes s’il n’est pas trop tard. Du premier coup, il se pose au sommet. Le groupe d’alpinistes descend en rappel et remonteront les deux hommes. L’un vivant, l’autre mort.

Vient le temps de la polémique.

Comme dans toutes les crises, vient alors le temps de la polémique. Les mises en cause de Demaison sur les décisions dans la montagne. Herzog qui se contredit « il ne sera pris aucun risque », « nous avons pris tous les risques pour ce sauvetage ». Les propos diffamatoires, rien de manque.

Bref, si vous aimez la montagne, ce classique vous séduira. Si vous faites de la gestion de crise, idem. Si vous aimez les histoires d’hommes… aussi !

342 heures dans les Grandes Jorasses, René Demaison, chez Hoebeke

Questions and Answers - Magnifying Glass on WordsLe questions-réponses, Q&A, comme disent les anglo-saxons est l’outil de base de la gestion et de la communication de crise. Mais en réalité, c’est aussi un excellent outil de préparation des exposés, des conférences, des lancements de produits,…

1. DEFINITION

Le QR est l’outil de base de la communication de crise. Il permet de répondre à toutes les questions mêmes les plus insignifiantes des publics cibles comme les journalistes, les salariés, les actionnaires… mais surtout de préparer toutes les questions même les plus agaçantes !
Les porte-parole connaîtront les réponses presque par cœur du fait même de l’attention qu’ils auront mise à les préparer. Le QR devient alors un allié majeur en matière de réduction de stress et surtout permet de garantir la cohérence des messages entre différents porte-parole. De plus, il démontre le professionnalisme des acteurs en communication de crise par l’objectivité dont ils vont faire preuve en se posant eux-mêmes les questions les plus dérangeantes.

2. METHODE DE TRAVAIL

Travailler à plusieurs, 3 ou 4 personnes par exemple. Pas nécessairement des communicants : mais en tout cas des personnes intéressées par la communication, impliquées dans l’entreprise et capables de recul face à une situation donnée.

  • Etape 1 : Questionner.

Les inviter à poser toutes les questions, mêmes les plus dérangeantes sur les différentes parties listées ci-dessous. Et surtout sans aucune interdiction du type « mais pourquoi voulez-vous qu’on nous demande cela ? »

  • Etape 2 : Formuler.

Leur proposer de formuler des réponses simples qui tiennent en 10-15 mots, sans formulation négative. Si quelque chose ne ressemble pas à…c’est qu’il est différent !!!

  • Etape 3 : Proposer.

Aller proposer ces premiers éléments de réponse au management de l’entreprise, en faisant fi de son propre ego ! En effet, aucune réponse ne sera acceptable, et dites-vous que c’est normal ! Si votre comité de direction avait dû « proposer » les réponses… nous y serions encore ! Il lui est beaucoup plus simple, et il est donc plus efficace pour tout le monde, de travailler sur des propositions… quitte à les massacrer ! Soyons clair !

  • Etape 4 : Tester.

Tester les réponses en media-training. Il s’agit, d’une part, de mettre en cohérence les messages, les illustrations et les attitudes du porte-parole et d’autre part, de mettre en scène la pression, les changements de sujet…

  • Etape 5 : Valider.

Valider les réponses acceptables. Les raccourcir au maximum. Les répéter pour les intégrer.

  • Etape 6 : Communiquer.

Faire connaitre les réponses à l’ensemble des salariés ! Afin de garantir la cohérence interne / externe d’une part et que ces derniers n’apprennent pas par les rumeurs, internet et la presse, les réponses de la Direction.
3. CONTENU

le QR est souvent composé de 8 parties.

Partie 1 : Les faits
Que s’est-il passé ? Où ? Quand ? A quelle heure ? Avec qui ? Par qui … tous les détails sur l’événement.

Partie 2 : Les conséquences
Y a-t-il des victimes ? Combien de victimes ? Des hommes, des femmes, des enfants ? Quel âge ont les enfants ? Pour préparer ces questions, mettez-vous dans la peau des journalistes et écoutez attentivement la façon dont ils racontent un fait divers : « une bombe ce matin, 10 morts, dont une femme et un enfant de 10 ans… » L’âge de l’enfant intéresse alors que celui des adultes ne sera pas mentionné. C’est sordide, mais à nous de préparer ces réponses.

Partie 3 : Les mesures prises
Si vous avez des victimes, les journalistes attendront directement des informations sur les mesures que vous avez prises pour les victimes, les familles des victimes… Les avez-vous évacuées ? Où sont-elles évacuées? Les familles sont-elles prévenues ? Les familles vont-elles venir sur le site ?

Partie 4 : Les causes
Si vous n’avez pas de victimes à déplorer alors les journalistes vont très vite s‘intéresser à votre responsabilité dans cet événement. Comment cet accident a-t-il pu se produire ? Comment est-ce possible ? Le chauffeur est-il formé ? Depuis combien de temps roulait-il ?

Partie 5 : Le passif.
Ensuite, les questions vont concerner le passif soit de votre entreprise, soit des concurrents, soit du site. Il convient d’avoir en tête dans cette rubrique que les journalistes vont chercher à savoir si vous avez tiré des enseignements d’accidents similaires passés. Et naturellement si ce n’est pas le cas, ces questions deviendront vite de nature polémique. Et attention, le passif n’est pas seulement ce qui vous est arrivé, mais également ce qui est arrivé dans ce même endroit, à ce même type de véhicule, dans un même type d’entreprise…

Partie 6 : Les procédures
Les questions relatives aux procédures ont pour objectif de démontrer que vous avez failli… en le sachant ou non ! Alors soyez vigilant. Vous ne pouvez pas en tant que manager ne pas être au courant des révisions de procédures, des démarches qualités mises en place dans votre entreprise. Posez-vous alors toutes les questions et apportez-y des réponses satisfaisantes et simples… du point de vue journalistique. Attention surtout à ne pas tomber dans les jargons techniques et langues de bois qui ne font que « noyer le poisson » et mettre en évidence vos faiblesses. Exemple : lors de l’accident de la passerelle Air France ayant coûté la vie à une hôtesse, les questions étaient : les signaux sonores de recul de la passerelle étaient débranchés : le saviez-vous ? Pourquoi ces signaux étaient débranchés ? Ne pouvez-vous pas imposer le fonctionnement de ces signaux ? …

Partie 7 : La communication.
Attendez-vous à être questionné sur vos projets de communication : vers les victimes, vers les familles, vers les riverains, vers les salariés, vers les actionnaires et vers les journalistes. Qui va parler ? Quand ? Où ? Un communiqué sera-t-il mis en place ? Un numéro vert est-il disponible ? Etc.

Partie 8 : L’entreprise
Ses marchés et ses produits. Attention à ces questions apparemment simples mais qui peuvent très vite devenir polémiques car elles vont vous vous emmener sur un terrain où vous vous sentirez en confiance mais elles ont pour objectif de vous identifier comme la grosse structure qui fait du business face au « pauvre » petit salarié / riverain / enfant. Sachez dire combien de personnes travaillent sur vos sites…